Entretien avec Ghislain, directeur général du groupe Marc Dorcel

Marc Dorcel… Pour les plus vieux parmi nous ça évoque certainement des souvenirs de masturbation adolescente sur les cassettes vidéos piquées à Papa. Et pour les plus jeunes probablement pas grand chose.

On pourrait penser que la marque Dorcel s’est éteinte, malmenée par l’arrivée du net, du streaming et des tubes. Et pourtant ça va plutôt bien pour eux. Presque 30 millions d’euros de chiffre d’affaire en 2012, autant dire que l’activité se porte bien.

En tout cas voici une longue interview de Ghislain, vice-président du groupe Dorcel. Loin des communiqués de presse et des sondages qui font la communication habituelle du groupe, il parle ici en profondeur de son métier de producteur, de la fin du DVD, de la VOD, des tubes.

Avant j’ai travaillé chez Canal + puis chez TF1

En tant que vice-président Médias je suis en charge des activités Médias du groupe Marc Dorcel.

Ca regroupe les activités contenu (la production & les acquisitions) ainsi que les activités digitales (web, mobile, VOD). Je ne m’occupe pas des autres activités du groupe comme le retail, la presse, ou les finances.

Avant j’ai travaillé chez Canal + puis chez TF1. Au sein de TF1, je travaillais dans la web agency du Groupe, qui s’occupait de différents clients extérieurs, et notamment un qui s’appelait Marc Dorcel. C’est comme ça que j’ai connu le Groupe Marc Dorcel et son Directeur Général, Grégory Dorcel. Ce dernier voulait développer un peu plus ses activités VOD.

Ca fait aujourd’hui 6 ans que je suis chez Dorcel, on s’est bien trouvé 🙂

Je ne suis pas sûr de faire le même métier qu’une société comme Dreamnex ou Rentabiliweb

Le marché de l’adulte est assez large au final.

Je ne suis pas sûr de faire le même métier qu’une société comme Dreamnex ou Rentabiliweb. Personnellement, je ne les considère pas forcément comme des sociétés de l’adulte. Elles ne travaillent pas sur le contenu mais uniquement sur la monétisation de celui-ci, souvent à la limite de la légalité. Ils ne sont pas là pour travailler une marque.

Beaucoup trop de sites ont uniquement comme objectif d’arnaquer l’internaute. Ils essayent de faire venir du trafic en faisant un référencement trash et ensuite font croire aux internautes qu’ils vont accéder à certains contenus pour qu’ils sortent leur CB.

Ce sont 2 métiers et visions complètement différents selon moi.

Dorcel c’est de l’entertainment pour adultes.

C’est faire du contenu de qualité, le produire ou aller le chercher et le diffuser sur l’ensemble des supports tout en respectant une certaine charte éthique et morale.

Nous travaillons la commercialisation et la distribution sur tous les supports internet, télé, magazine ou DVD.

Nous protégeons beaucoup notre marque et son image. Le respect de la femme, de nos actrices et de nos clients/internautes/fans sont des valeurs essentielles pour nous.

La VOD représente aujourd’hui 60% de notre activité

La consommation de porno a évolué. Je ne pense pas que c’est le client DVD qui est devenu client VOD. C’est un type de client qui disparait malheureusement au fur et à mesure et d’autres qui se créent.

Le DVD représente encore 20% du CA du groupe, donc ça n’est pas négligeable. Dorcel c’est 28 millions d’euros de CA sur 2012.

Après le DVD sur la France c’est de plus en plus difficile. C’est un marché qui vivait du réseau des sexshops et des vidéos clubs, qui est en train de disparaître. Mais on a aussi une forte présence à l’international. Dorcel est une des rares sociétés qui s’exporte bien et on est distribué dans 56 pays.

La bascule de CA entre le digital et le support physique a eu lieu en 2008 chez Dorcel. Et la VOD représente aujourd’hui 60% de notre activité.

Si nous sommes si importants en France en VOD c’est que nous avons lancé très tôt, en 2002, notre site DorcelVision.com. A une époque où regarder de la vidéo sur internet ça n’existait pas : YouTube a été créé en 2005.

Nous avons ensuite aidé tous les FAI français à se lancer dans la VOD adulte. La France avait de l’avance sur ce domaine par rapport aux autres pays européens. Le marché était encore tout nouveau, le piratage n’était pas aussi facile que maintenant. En IPTV, la consommation est très simple : pas d’arnaque, pas de CB à saisir, anonyme, discret… c’est idéal pour acheter des films adultes.

Et aujourd’hui nous sommes les seuls en VOD à posséder une expertise en qualité de producteur, d’agrégateur et de fournisseur de solution BtoB VOD clé en main. Comme si la Warner distribuait également les films de Disney, Universal… Si nous ne diffusions que les contenus Marc Dorcel, nos services toucheraient un public plus restreint.

Les clients ne veulent pas payer plus cher pour avoir une meilleure qualité

Le virage du numérique a donc été facile à prendre, parce que la société est assez petite au final et que nous fonctionnons plutôt en mode startup.

Dès que quelqu’un a de nouvelles idées, de nouveaux projets, on les lance ! Nous aimons essayer de créer de nouvelles choses, et comme un laboratoire de test voir ce qui peut fonctionner et ce qui ne marche pas.

Nous sommes peu à décider, ce qui nous permet de garder une réactivité qui est impossible dans un groupe très hiérarchisé. Au total dans le groupe nous sommes environ 50 collaborateurs.

En 2010, nous avions été les premiers à tourner en 3D des contenus pensés pour la 3D. Cela nous a permis d’apprendre sur cette technologie et d’être les premiers à avoir un catalogue 3D natif important. Cela nous a ouvert beaucoup de portes à l’international.

Pour autant même si nous sommes rentrés dans nos frais, il n’y a pas vraiment de marché pour la 3D, que ce soit adulte ou mainstream. A l’époque, les producteurs nous disaient “je ne vais pas produire parce qu’il n’y a pas de parc” et le public nous disait “je ne vais pas acheter de télé parce qu’il n’y a pas de contenu”.

Sur support physique nous n’avons jamais sorti de Blu-ray. Cela coûte très cher et il n’y a pas de réseau de distribution ni de demande. Pourtant tous nos contenus sont tournés en full HD et bientôt en 4K. Mais les clients ne veulent pas payer plus cher pour avoir une meilleure qualité, ils s’attendent à ce que le producteur leur fournisse la meilleure par défaut. Cela doit faire partie du service.

Pour l’instant nous sommes en retard sur le mobile. Nous sous-traitions notre licence à des sociétés externes mais depuis nous avons recruté une équipe pour le développement du web et du mobile. Et tous nos services sont maintenant pensés en fonction des devices mobiles/tactiles et sont ensuite déclinés pour une version PC, plus l’inverse.

Dorcel est devenu le “has been” du film à papa dans le château

Pour nous le piratage tue cette industrie.

Beaucoup de studios ont déjà fermé ou bien ne peuvent plus produire. Tous les studios qui sont restés uniquement des studios en ratant le virage du numérique et sans maitriser la distribution et la diffusion sont condamnés à mourir.

Pour schématiser l’évolution, jusqu’à la fin des années 90 pour faire du film X il fallait certains moyens (une grosse équipe technique, un lourd travail de post production…).

Fin des années 90 est sorti le caméscope numérique et là n’importe qui pouvait s’équiper d’une caméra et faire un film. Les acteurs sont devenus producteurs et réalisateurs de leur contenu.

Ensuite sont sortis les logiciels de montage donc plus besoin de faire appel à un monteur professionnel, on pouvait monter soi même son film.

Dorcel est devenu le “has been” du film à papa dans le château. Contrairement à tout le monde Dorcel a fait le choix de continuer à produire des films haut de gamme, en investissant massivement dans le contenu, dans les actrices, de beaux décors…

C’était devenu la mode du gonzo, le film sans histoire, avec uniquement du sexe. Il coutait très peu cher à faire et était très vite amorti. C’était le début d’internet et la plupart des sites achetaient ce contenu.

A l’époque le producteur qui tournait sa vidéo la revendait à dix sites, elle était amortie au bout d’une semaine, ce qui était très bien, c’était l’eldorado de cette époque. Pratiquement toute l’industrie s’est engouffrée là-dedans.

Sauf qu’après la CB30 s’est mise à arnaquer les gens donc il a fallu être de plus en plus ingénieux pour arnaquer les internautes, on peut les arnaquer une fois, deux fois mais au bout d’un moment les internautes n’étaient plus dupes.

Du coup tous les producteurs se sont retrouvés à faire le même contenu, mais avec une offre très largement supérieur à la demande. Du coup ils ont gagné de moins en moins d’argent, du coup ils ont voulu faire des scènes de moins en moins chères et donc de moins en moins attractives et qui se vendaient de moins en moins.

C’est aussi à ce moment que sont arrivés les tubes porno.

Les tubes proposaient le même type de contenu en masse sauf qu’ils n’arnaquaient pas, c’était gratuit. Pour les sites de CB30 ça a été plus difficile de vendre la même promesse vu qu’il fallait saisir sa CB.

Nous ne voulons pas rentrer dans le jeu des tubes

Dorcel a toujours été contre HADOPI telle qu’elle existait.

C’est ridicule d’aller taper chez madame Michu parce que son fils a téléchargé le dernier James Bond et de lui faire un procès. Tu imagines le nombre de foyers que ça concerne ? Il n’y a pas mieux pour surcharger encore un peu plus les tribunaux français.

Notre position n’est pas d’attaquer une personne qui a téléchargé des vidéos pour son usage personnel mais plutôt d’attaquer les entreprises “mafieuses” qui se cachent derrière les sites illégaux et qui font commerce du piratage.

Les tubes ont pillé et fait plier certaines boites de prod. Certains tubes rachètent même maintenant des studios. Ils génèrent d’énormes revenus en volant le contenu des autres, échappent à toute fiscalité étant dans des paradis fiscaux et pire, ne respectent aucun contrôle parental.

Nous ne voulons pas rentrer dans le jeu des tubes en leur donnant nos contenus pour espérer que 0.01% des internautes viennent ensuite sur notre site. Accepter ça c’est renoncer à son copyright.

Mais c’est un combat qu’on mène seuls. Aucune gouvernance n’aide notre industrie alors que nous sommes des entreprises tout à fait légales, génératrices d’emplois, qui payons nos impôts…

Du coup c’est c’est très difficile de se projeter sur ce que ce sera le marché ou l’industrie dans le futur. Nous sommes sur le secteur des nouvelles technologies où tout va très vite, mais aussi à cause de contraintes légales ou fiscales. Du jour au lendemain on peut très bien avoir une taxe en plus de X% spécialement pour le contenu adulte.

Nous évoluons plutôt au jour le jour, avec une vision projet/stratégie à 6 mois, ce qui est déjà beaucoup pour nous.

Nous venons de lancer une affiliation

Comme nous n’arnaquons pas les internautes, que Dorcel est une société française qui paye ses taxes en France etc… Dorcel est moins intéressant pour un petit webmaster qui cherche à faire du cash un peu offshore en arnaquant un maximum ses internautes 🙂

Par contre celui qui a un site internet qui cherche à faire un peu de sexy mais veut pas aller dans le trash et veut être sûr que tout se passe bien va plutôt travailler avec nous.

Pour ceux là nous venons de lancer une affiliation sur DorcelClub.com et Dorcel.TV, accompagnée d’une plateforme d’affiliation DorcelCash. Nos tiers de paiements sont CCbill et Rentabiliweb.

D’ici la fin de l’année on ajoutera DorcelVision.com. Et on propose toujours à côté DorcelStore.com pour l’e-commerce !